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Comment s’assurer contre les catastrophes naturelles ?

Avec l’intensification des événements climatiques extrêmes, il est attendu que les coûts d’indemnisation atteignent un montant cumulé de 143 milliards d’euros d’ici à 2050. Burning Bright/Shutterstock
Selim Mankaï, Université Clermont Auvergne (UCA)

Assurance et risques élevés n’ont jamais fait bon ménage. Avec le réchauffement climatique, la viabilité des systèmes actuels d’indemnisation est remise en question. Dépense perçue comme peu prioritaire, augmentation des prix, soutien communautaire informel, l’adhésion des populations aux mécanismes d’assurance est de plus en plus faible.


« L’année 2023 est la troisième année la plus grave en termes de sinistres climatiques », déclare Florence Lustman, présidente de France Assureurs (organisme représentatif des principaux assureurs français). Les coûts des indemnisations se sont élevés respectivement à 10 milliards et 6,5 milliards d’euros en 2022 et 2023. Avec l’intensification des événements climatiques extrêmes, il est attendu qu’ils atteignent un montant cumulé de 143 milliards d’euros d’ici à 2050.

Le modèle d’assurance obligatoire contre ce type de risques, présents dans quelques pays comme la France et l’Espagne, reste une exception. Dans la plupart des autres pays, cette couverture est facultative et suit davantage une logique de marché. Sur les dernières années, de nombreuses compagnies d’assurance se retirent des zones à forte sinistralité climatique. Les derniers assureurs ajustent souvent à la hausse leur niveau des primes, ou font une sélection plus stricte des souscripteurs afin de maintenir une certaine rentabilité.

Des tarifs qui augmentent avec le risque

Nouvelle cadence infernale de catastrophes naturelles, faible base de souscripteurs, sur représentation de souscripteurs à risque élevé, le secteur de l’assurance vit une (r) évolution. Ces frictions alimentent la hausse des primes et évincent de plus en plus les profils à risque pour qui la couverture devient trop coûteuse.

Ce problème pourrait toucher à présent les régimes d’assurance obligatoire, autrefois moins exposés à ces tensions. En France, la contribution obligatoire au régime catastrophes naturelles – surprime adossée à l’assurance habitation – passera de 12 % à 20 % en janvier 2025. Cette hausse vient après 24 ans de stabilité. Elle pourrait marquer d’autres ajustements dans l’avenir.

La viabilité des systèmes actuels d’indemnisation est en question. C’est pourquoi nous avons conduit une méta-analyse. Elle recoupe les études empiriques publiées dans Web of Science et Google Scholar de 2005 à 2021, en combinant les mots-clés suivants : insurance, willingness to pay, low probability, contingent valuation, climate risk et natural disasters. Elle examine la demande d’assurance pour des risques tels que les inondations, les sécheresses et les tempêtes, ainsi que pour différents biens comme les habitations et les exploitations agricoles. L’objectif : mesurer la disposition des ménages à payer pour s’assurer contre ces risques. Cette valeur reflète le montant maximum qu’un individu est prêt à payer pour réduire son exposition aux risques.

Les ménages sous-estiment les risques climatiques

Les populations interrogées sont prêtes à payer, en moyenne, 87 % de la valeur de la prime actuarielle – somme qu’elles payent à l’assureur en échange des garanties définies. Ces résultats montrent que même si ces populations reconnaissent la nécessité de s’assurer, elles sont souvent réticentes à payer le juste prix de la couverture.


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Les individus auraient tendance à sous-estimer le risque causé par les catastrophes naturelles, ce qui les incite à ne pas souscrire à l’assurance. Dans les études expérimentales où les participants sont confrontés à des situations hypothétiques de risque créées par le chercheur, ces derniers seraient généralement prêts à payer plus en raison d’une perception amplifiée du risque. Par contre, dans les enquêtes observationnelles qui se limitent à observer leurs comportements dans son état naturel, la disposition à payer est plus faible, comme les participants ont tendance à négliger la perspective de perte.

Par ailleurs, le revenu moyen des ménages s’avère négativement corrélé à leur disposition à payer. L’assurance pourrait être perçue comme un bien inférieur dont la demande diminue lorsque le revenu augmente. Par exemple, les individus appartenant à des catégories socio-économiques supérieures préfèrent ne pas souscrire à des contrats pour couvrir certains risques, plutôt que de souscrire à une assurance classique. Ils décident ainsi d’en assumer seuls les conséquences financières. Une autre explication de ce résultat pourrait résider dans le fait que l’aversion pour le risque, et donc la préférence pour des choix moins risqués, tend à diminuer avec le niveau de richesse.

L’âge moyen est également un facteur pertinent en matière de demande : les personnes âgées sont moins disposées à payer pour des assurances.

Solidarité familiale en Chine, sécurité en Allemagne

Enfin la culture nationale joue un rôle majeur dans la perception de l’assurance.

En Chine, la société valorise fortement la solidarité familiale et communautaire. Dès lors, les habitants sont plus enclins à se tourner vers leurs réseaux sociaux familiaux en cas de perte en lien avec les catastrophes naturelles, plutôt que de souscrire à une assurance. Ce réflexe contraste avec d’autres pays. En Allemagne et aux Pays-Bas, il existe une forte culture de la gestion du risque par le biais des assurances formelles. Dans ces pays, les individus sont plus disposés à payer pour se prémunir contre les risques. L’assurance y est perçue comme une garantie de sécurité et un moyen efficace de répartir les risques.

D’autres facteurs culturels influencent la manière dont les populations perçoivent les assurances. En Inde, où la distance hiérarchique est élevée, les habitants ont tendance à se reposer sur l’aide publique contre les catastrophes naturelles. La demande d’assurance privée se retrouve logiquement réduite.

Dans un monde de post-croissance, où la priorité n’est plus la maximisation des profits mais plutôt à la durabilité et à la résilience des sociétés, quel rôle peuvent jouer les assurances ?

Peuvent-elles devenir un levier pour encourager des comportements responsables et partager les risques liés aux catastrophes climatiques de manière équitable ? Dans tous les pays, cette question cruciale émerge : comment réorienter les investissements, y compris ceux des assurances, vers des initiatives permettant de lutter efficacement contre le changement climatique tout en préparant les sociétés pour plus de résilience ?

Selim Mankaï, Maître de conférences en finance, Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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