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Comment pose-t-on un diagnostic en médecine ?

Yves Hansmann, Université de Strasbourg

En médecine, l’établissement d’un diagnostic est fondamental dans le raisonnement qui permet d’établir un projet de soins pour le malade.

L’analyse des symptômes est une des spécificités du métier du médecin, dont la longue formation le prépare à savoir les trier et les catégoriser. Contrairement aux patients profanes, grâce à son expérience, le médecin parvient à reconnaître les symptômes identifiant de la maladie, ce qui est censé éviter les dérives diagnostiques.

Mais l’établissement du diagnostic n’est pas neutre : le médecin élabore son raisonnement en fonction de la façon dont il perçoit ce que lui dit son patient de ses symptômes. La démarche diagnostique doit donc tenir compte de l’expression desdits symptômes par le patient, mais aussi des attentes de ce dernier par rapport à sa maladie.

Tout diagnostic commence par un dialogue

Le diagnostic médical est la résultante d’un dialogue basé sur la compréhension mutuelle de chacun des protagonistes. Il fait intervenir un processus de « traduction » du langage profane du patient en des termes ayant une signification diagnostique médicale. La qualité de cet échange déterminera la justesse de la démarche diagnostique.

En effet, à partir des renseignements que le patient lui a fournis, le médecin va procéder par hypothèses diagnostiques. Plusieurs types de stratégie diagnostiques sont mises en œuvre par le médecin, en fonction non seulement de la spécificité des renseignements obtenus, mais aussi de son expérience, ou de l’identification d’une situation urgente nécessitant la mise en place d’une thérapie rapide. Dans cette démarche, la notion d’incertitude est un élément clé.

Par exemple, devant une fièvre accompagnée de signes respiratoires et de douleurs articulaires et/ou musculaires, survenant durant la période d’épidémie grippal, le médecin identifiera dans un premier temps une probable grippe. À ce stade, la preuve diagnostique, qui nécessiterait de faire des tests de détection du virus grippal dans un laboratoire, n’est pas établie.

L’incertitude n’étant pas levée, le médecin sait, par expérience que la fièvre peut aussi révéler d’autres diagnostics qui nécessiteraient une intervention immédiate. Si son examen lui révèle également une pression artérielle très basse, un signe de gravité non compatible avec le diagnostic de grippe, le médecin doit totalement réorienter sa stratégie vers d’autres hypothèses diagnostiques, qui seront prises en charge lors d’une hospitalisation demandée en extrême urgence.

Ces stratégies ont pour objectif d’établir, avec le plus d’efficience possible, un diagnostic. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’efficacité réelle de la démarche est celle qui permet d’aboutir au bon diagnostic, ce qui peut nécessiter de faire appel à des constructions plus complexes, basées sur une forme de pondération des symptômes selon leur sensibilité et leur spécificité.

Tous les symptômes ne se valent pas

Tout symptôme présente deux caractéristiques : sa spécificité, qui correspond à sa capacité à révéler une maladie avec le moins d’erreurs possible, et sa sensibilité, qui traduit sa capacité à être présent le plus fréquemment possible lors de la maladie.

Dans le raisonnement diagnostique, le caractère « spécifique » revêt une grande importance, dans la mesure où il permet d’éliminer des hypothèses peu probables. Or en médecine, beaucoup de symptômes qu’ils soient cliniques ou biologiques ou radiologiques, sont peu spécifiques, et leur présence isolée ne permet pas toujours d’orienter le diagnostic. La démarche diagnostique nécessite alors dans ces situations complexes une réflexion plus lente et réfléchie qui s’oppose au caractère intuitif, lequel peut être plus rapide.

Ces modes de pensée s’apparentent à la théorie du psychologue et prix Nobel d’économie Daniel Kahnemann. Celle-ci postule que la pensée de l’être humain fonctionne selon deux systèmes différents : le système 1, rapide, instinctif et émotionnel, et le système 2, plus lent, plus réfléchi et plus logique. Le système 1, est plus rapide, mais sujet aux biais de raisonnement. Le système 2 met en jeu des mécanismes de réflexion plus lent, mais qui ont pour objectif de limiter les biais de raisonnement.

À titre d’exemple, les maux de tête sont un signe presque constant au cours de la méningite (donc très « sensible »). Mais ils sont aussi présents dans beaucoup d’autres maladies : migraines, tumeurs cérébrales, troubles de la vue, tensions cervicales, viroses comme la grippe, simple fatigue sans cause… Il est donc important d’identifier également un symptôme qui va pouvoir éliminer une majorité d’autres diagnostics.

Si le patient vomit (signe lui-même peu spécifique, car il existe dans beaucoup d’affections digestives, infectieuses…), on va pouvoir éliminer avec une bonne probabilité diverses pathologies, telles que les troubles de la vue, les tensions cervicales, les viroses respiratoires saisonnières ou la simple fatigue.

Si on rapporte un symptôme supplémentaire, comme la fièvre (toujours aussi peu spécifique), alors on pourra éliminer parmi nos hypothèses initiales et avec une forte probabilité les migraines et les tumeurs cérébrales… Il ne restera donc plus, parmi les hypothèses, que les méningites.

Pondérer et trier les symptômes

En pratique, la réflexion diagnostique mobilise les éléments symptomatiques en leur attribuant une valeur plus ou moins importante. Cette « pondération » est basée sur les constats faits par des analyses à large échelle menées sur des cohortes de patients.

Par exemple, lors du diagnostic de la maladie de Lyme, on prête une grande importance à l’existence de l’érythème migrant. Cette tache rouge qui s’étend de façon centrifuge, pendant plusieurs semaines, à l’endroit de la piqûre de tique, caractérise la phase précoce de l’infection. Sa présence, très spécifique, appelle peu d’autres diagnostics, ce qui permet de mettre en jeu un mécanisme diagnostique quasi immédiat, sans avoir à mobiliser d’autres connaissances.

En revanche, dans le cas du diagnostic des phases tardives de cette maladie, alors que l’érythème migrant n’a pas toujours été identifié, l’analyse est plus réfléchie. En effet les symptômes étant peu spécifiques, la valeur de chacun des symptômes sera déterminée sur la base des symptômes observés au sein cohortes de patients chez qui le diagnostic a pu être prouvé. Cette valeur dépend de leur fréquence dans ces cohortes, et de leur capacité à pouvoir prédire le fait que le diagnostic soit confirmé.

Cette approche vise à donner une plus grande valeur dans la démarche diagnostique à un symptôme qui définit au mieux la maladie. C’est par exemple le cas des douleurs, de la sensation de fatigue ou des difficultés de concentrations, qui sont présentes dans de nombreuses autres affections. Cependant, leur association chez un même patient n’est pas suffisamment pertinente pour poser un véritable diagnostic.

En effet, les recommandations des sociétés savantes en matière de diagnostic en matière de diagnostic distinguent les symptômes « suggestives of the diagnosis » (symptômes « suggestifs du diagnostic »), dont la spécificité est considérée comme suffisante pour établir un diagnostic, et les symptômes « compatible with the diagnosis » (« compatibles avec le diagnostic), qui, même s’ils sont associés à la maladie, ne peuvent à eux seuls faire envisager le diagnostic, par manque de spécificité.

Autrement dit, le médecin doit faire la différence lors de l’élaboration de son diagnostic, entre les symptômes qui « doivent » lui évoquer la maladie, et ceux qui « peuvent » lui évoquer la maladie.

Cette analyse est parfois complexe et n’est pas toujours aboutie. Elle est rendue encore plus difficile par l’influence que peut représenter la réflexion personnelle du patient, ainsi que par sa volonté bien compréhensible à participer lui-même à la démarche.

Le ressenti et le vécu des patients influencent le diagnostic

La perception du patient de sa propre maladie est influencée par son vécu personnel. Ce qu’il ressent devient fort logiquement sa propre vérité, qui n’est pas forcément la même que celle perçue par le médecin, dont la perception de la maladie est médiée par l’ensemble des expériences qu’il a partagé avec l’ensemble de ses patients.

À l’inverse de son patient, la vision du médecin gagne en globalité ce qu’elle perd en individualité. Il peut en résulter un sentiment d’incompréhension entre les deux parties !

Le ressenti d’une douleur est par exemple une situation qui peut être influencée par le vécu, les craintes ou au contraire, une tendance au déni des patients. Une douleur survenant au niveau thoracique, qui peut être très fréquente (et parfois très banale), doit faire penser, dans certaines conditions, à la possibilité d’un infarctus. Tout l’enjeu est de ne pas méconnaitre ce diagnostic, tout en évitant le surdiagnostic, qui aurait pour conséquence un engorgement des filières spécifiques de prise en charge.

La difficulté sera parfois d’aller à l’encontre des idées préconçues des patients, à savoir de réussire à rassurer ceux qui pensaient avoir un infarctus, mais dont les douleurs sont trop atypiques. Elle peut aussi être de parvenir à convaincre ceux qui, pour se rassurer, préféraient éviter d’envisager l’infarctus (en leur demandant par exemple d’accepter un transport médicalisé immédiat vers les urgences, si les douleurs sont évocatrices du diagnostic).

Le problème de l’errance diagnostique

Il arrive que la durée entre l’apparition des premiers symptômes et la date de confirmation du diagnostic s’allonge, parfois dans des proportions importantes. Cette incertitude peut être cause de souffrance pour les patients qui se retrouvent ainsi en « errance diagnostique ».

Une telle situation est susceptible de mener à des dérives. Certains patients à la recherche d’une « preuve diagnostic » qui échappe à leurs médecins peuvent être tentés par des explications à caractère pseudoscientifiques, ou à des « médecines alternatives » qui leur laissent croire à des mécanismes qui n’ont jamais été confirmés par des études scientifiques. Certains tests biologiques non validés scientifiquement peuvent aussi leur être proposés.

Il est important de savoir repérer de tels discours, qui souvent en contradiction avec les propos tenus par les spécialistes. Lorsque les conclusions de plusieurs spécialistes sont concordantes, alors le recours à d’autres avis devient inutile, voire peut être source de confusion.

Dans certains cas, comme celui des stades avancés de la maladie de Lyme, particulièrement compliqués à diagnostiquer, des « réunions de concertation pluridisciplinaires » ont été instaurées. Celles-ci sont organisées par les centres de références nationaux des maladies vectorielles à tiques pour la maladie de Lyme au sein de chaque hôpital hébergant ces structures. Tout médecin peut avoir ainsi accès à un avis spécialisé (y compris à distance), lequel pourra ensuite être communiqué au patient.

Yves Hansmann, Professeur des universités - praticien hospitalier - Maladies infectieuses et tropicales et médecine interne, coordonnateur du Centre de référence Maladies vectorielles à tiques, membre du groupe de travail HAS, membre du groupe de travail ANSES, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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