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Comment « Barbie » aborde les contradictions liées à la maternité

Aviva Dove-Viebahn, Arizona State University

Attention, cet article dévoile des éléments de l’intrigue du film.


Le très populaire film Barbie fait couler beaucoup d’encre, notamment quant à son message féministe.

En tant que mère et spécialiste des médias, je n’ai pas pu m’empêcher de voir Barbie sous un angle encore plus étroit : un film qui, au fond, parle de relations entre mères de filles.

L’intrigue du film est centrée sur une poupée grandeur nature, connue sous le nom de « Barbie stéréotypée », interprétée par Margot Robbie, qui commence à dysfonctionner : Ses pieds deviennent plats et elle ne peut s’empêcher de penser à la mort. Elle quitte donc sa vie plastique parfaite pour se lancer dans une quête visant à rétablir la frontière entre le monde réel et Barbieland. En chemin, elle apprend que le monde réel n’a rien à voir avec son pays des merveilles, où les Barbies occupent tous les postes de pouvoir et d’influence et où les Ken ne sont que des accessoires.

Les difficultés liées au fait d’être une mère sont au cœur du film – un rôle souvent considéré comme acquis, alors même que les fantasmes culturels associés à la maternité s’opposent aux sacrifices réels que font les mères.

La maternité, une corvée ?

J’ai tout de suite été frappée par les observations à la fois drôles et effrayantes du film au sujet de la maternité.

« Depuis la nuit des temps », dit sardoniquement la narratrice invisible interprétée par Helen Mirren dans la première réplique du film, « depuis la naissance de la première petite fille, il y a eu des poupées ». Les cinéphiles reconnaîtront immédiatement cette scène et son cadre comme un hommage à la célèbre ouverture

de Stanley Kubrick dans 2001 : L’Odyssée de l’espace.

Des petites filles apparaissent à l’écran, portant des robes désuètes et jouant avec leurs poupées dans un décor primitif, le visage inexpressif et terrassées par l’ennui. Le problème avec ces poupées, poursuit la narratrice, c’est que les filles « ne peuvent que jouer à être des mères, ce qui peut être amusant » – Mirren fait une pause significative – « pendant un certain temps ».

Puis, ajoute-t-elle, son ton devenant sarcastique, « demandez à votre mère ».

L’attrait de la maternité, semble suggérer Mirren, finit par se transformer en une suite de corvées – une réalité soulignée dans le film quelques instants plus tard lorsque les filles rencontrent leur première Barbie – plus grande que nature – les incitant à briser leurs banales poupées.

Barbie – une poupée représentant une jeune et belle femme – oblige les enfants à délaisser l’ennui de la maternité au profit du plastique rose étincelant de Barbieland, où toutes les Barbie vivent leur meilleure vie pour toujours, incarnant la perfection et réalisant leur potentiel.

La présentation de la maternité comme ingrate et indésirable fait écho aux critiques féministes du milieu du XXe siècle concernant l’éducation des enfants et les tâches ménagères. Non seulement ces rôles confinent les femmes au foyer, mais ils les obligent à accomplir des tâches répétitives qui ne correspondent pas à leurs capacités intellectuelles et qui font dérailler leurs ambitions.

Dans son livre de 1949 Le deuxième sexe, la philosophe française Simone de Beauvoir affirme que les femmes, pour s’émanciper, doivent rejeter le mythe selon lequel la maternité représente le summum de l’accomplissement féminin. L’écrivaine américaine Betty Friedan s’est fait l’écho de ce sentiment dans son livre de 1963 La femme mystifée, s’insurgeant contre l’image de « l’héroïne heureuse au foyer » qui trouve son épanouissement dans son rôle d’épouse et de mère.

Ce n’est pas une coïncidence si ces idées sont apparues en même temps que l’invention de Barbie. Bien que Barbie soit née en en 1959, donc avant la vague féministe des années 1960 et 1970, sa créatrice, Ruth Handler, a conçu le jouet pour permettre aux filles d’imaginer leur future personnalité d’adulte, plutôt que de simplement jouer les mères avec des poupées.

La valeur du « travail » de mère

Pourtant, non seulement de nombreuses femmes apprécient d’être mères, mais la maternité joue également un rôle essentiel dans la société et dans la vie.

Dans son livre de 1976 Of Woman Born, la poétesse féministe Adrienne Rich établit une distinction entre la relation épanouissante que les mères peuvent avoir avec leurs enfants et l’institution patriarcale de la maternité, qui maintient les femmes sous le contrôle des hommes.

La sociologue Patricia Hill Collins a inventé le terme motherwork, (« travail maternel ») au milieu des années 1990 pour mettre en lumière les expériences des femmes de couleur et des mères de la classe ouvrière, dont beaucoup n’ont pas les moyens de poursuivre leurs propres ambitions au lieu de s’occuper de leur famille et de leur communauté. Lorsque vous essayez simplement de vous débrouiller au jour le jour sans richesse ou autres formes de privilèges, des options telles que l’embauche d’une nounou ou le financement d’études supérieures ne sont ni réalisables ni prioritaires.

Pour ces mères, la survie de leurs enfants n’est pas une évidence. Au lieu de l’ennui et de l’oppression, la notion de « travail maternel » permet de reconnaître la valeur de cet investissement personnel, de cette forme d’amour qui est aussi un moyen de s’autonomiser.

Dans Barbie, la relation mère-fille entre Gloria, jouée par America Ferrera, et sa fille Sasha, jouée par Ariana Greenblatt, contient toutes ces contradictions.

Après avoir compris que la source de ses dysfonctionnements vient de la tristesse d’une personne dans le « monde réel », la Barbie stéréotypée pense d’abord que c’est l’angoisse de Sasha (la petite fille) qui a perturbé la perfection de Barbieland. Au lieu de cela, Barbie découvre que c’est la solitude de Gloria (sa mère) – et sa nostalgie d’une époque plus simple où elle jouait aux Barbies avec sa fille – qui a provoqué la rupture entre la réalité et le monde imaginaire.

America Ferrera, à gauche, joue Gloria dans Barbie. Ariana Greenblatt, à droite, joue le rôle de Sasha, sa fille. Warner Bros

L’aventure de Sasha et Gloria avec Barbie – qui échappent aux cadres de Mattel qui veulent enfermer Barbie dans une boîte, puis retournent à Barbieland pour sauver les autres Barbies des Kens qui essaient de prendre le contrôle – répare la relation entre la mère et la fille.

Gloria se souvient de ce que c’est que la joie de la maternité, et Sasha se rend compte que sa mère ne représente pas seulement un ensemble de valeurs fades contre lesquelles se rebeller. Gloria est une personne à part entière, dotée d’une riche vie intérieure et qui, selon ses propres estimations, est parfois « bizarre, sombre et folle », ce que Sasha admire.

Sasha – et toutes les Barbies – ont aussi quelque chose à apprendre de Gloria.

Stupéfaite que même une personne aussi parfaite que Barbie ait l’impression de ne pas être à la hauteur, Gloria livre un monologue poignant qui résume, selon les mots de Barbie, « la dissonance cognitive nécessaire pour être une femme sous le patriarcat ».

Gloria, en tant que mère luttant pour concilier son amour profond pour son enfant et la peur d’échouer constamment dans ce rôle, ne sait que trop bien comment cette dissonance cognitive épuise les femmes.

Lâcher prise

Dans son livre de 2018 Mothers : An Essay on Love and Cruelty, l’universitaire Jacqueline Rose affirme que la maternité est liée aux notions de citoyenneté et de nation et que, pour cette raison, elle peut devenir « l’ultime bouc émissaire de nos échecs personnels et politiques ».

La fin de Barbie rejette l’idée que les mères sont responsables des erreurs de leurs enfants. Au contraire, le film offre une autre perspective à travers le personnage de Ruth Handler, la fondatrice de Mattel, interprétée par Rhea Perlman. Handler aide Barbie à voir ce qui l’attend si elle choisit de devenir humaine.

En lâchant symboliquement sa création et en l’encourageant à tracer son propre chemin, Ruth dit à Barbie qu’elle ne peut pas plus la contrôler qu’elle ne pouvait contrôler sa propre fille, et que les mères doivent ouvrir la voie à leurs enfants, et non les entraver.

« Nous, les mères, explique-t-elle, restons immobiles pour que nos filles puissent regarder en arrière et voir le chemin qu’elles ont parcouru. »

Ruth Handler, l’inventrice de la poupée Barbie, avec sa création en 1999. Matt Campbell/AFP

Ce message sentimental et timoré semble en contradiction avec le portrait nuancé de la maternité que dresse le film par le biais de l’humour et de la critique.

Mais tout au long du film, Barbie invite les spectateurs à remettre en question sa propre structure, ses principes et son message, et présente de multiples perspectives sur la maternité.

La maternité est un travail difficile et parfois même ingrat. Elle peut ennuyer ou décevoir. Elle peut être valorisante ou déchirante, ou les deux à la fois. Elle implique de diriger et de suivre, de s’accrocher et de lâcher prise.

Être mère ne devrait pas être synonyme de sacrifice ou d’idéal impossible à atteindre. Au contraire, la maternité peut mettre en évidence les possibilités de vivre dans – et avec – toutes ces contradictions.

Aviva Dove-Viebahn, Assistant Professor of Film and Media Studies, Arizona State University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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