Il y a cent ans, le 8 août 1918, les Alliés déclenchent une offensive dans la région d'Amiens. Cette attaque est un succès. Pour la première fois, ils prennent un ascendant décisif sur les Allemands, comme l'explique l'historienne Marjolaine Boutet.
Plus de 2 000 personnes, dont le prince William et la Première ministre britannique Theresa May, sont attendues, mercredi 8 août, pour les commémorations du centenaire de la bataille d'Amiens, qui se tiendront dans la cathédrale de la ville. Cette offensive de la Première Guerre mondiale, déclenchée le 8 août 1918, marqua le début d'une série d'attaques des Alliés contre les Allemands, qui aboutit à l'armistice du 11 novembre 1918. Le général Ludendorff, chef d’état-major général adjoint allemand qualifia cette journée de "jour de deuil de l’armée allemande". En une seule journée, les Alliés s’avancèrent de 13 kilomètres et firent près de 27 000 prisonniers. Pour l’historienne Marjolaine Boutet de l’Université de Picardie, co-auteure de "La bataille de la Somme" (Éd. Tallandier), la bataille d’Amiens est un tournant dans la Grande Guerre.
France 24 : Pourquoi cette offensive a-t-elle été décidée en août 1918 ?
Marjolaine Boutet : Il faut se remettre dans le contexte de 1918. Au printemps, les Allemands ont lancé une offensive qu’ils espéraient décisive pour remporter la guerre qui durait depuis quatre ans. À la fin de l’année 1917, il y a eu notamment la révolution bolchévique en Russie, signe que la guerre est en train de se terminer sur le front de l’Est. Les Allemands peuvent ramener une grande partie de leurs troupes sur le front de l’Ouest avant que, côté allié, les Américains n'arrivent en trop grand nombre. Ils se disent que c’est le moment de gagner la guerre et faire basculer la situation à leur avantage. Ils sont totalement épuisés par quatre années de conflit, des morts, qui ont dépassé le million et un blocus imposé par les Britanniques.
Ils lancent alors une offensive en avril qui dure jusqu’au mois de juillet, au cours duquel ils sont arrêtés sur la Marne par les Alliés qui se sont enfin mis d’accord pour avoir un commandement commun confié au général Foch. L’objectif de ce dernier est à la fois d’arrêter la menace allemande et de reprendre l’offensive. Il décide de lancer une première attaque commune à Amiens parce que c’est traditionnellement le point de jonction entre le front défendu par les Britanniques et le front défendu par les Français.
En gare d'Amiens, le 18 août 1918, l'ambassadeur britannique Lord Derby, les maréchaux Foch et Haig et le président du conseil Georges Clémeanceau
Comment cette offensive se déroule-t-elle sur le terrain ?
C’est une bataille classique de la Première Guerre mondiale. On prépare le terrain par un bombardement massif d’artillerie et d’aviation. Ce bombardement prend les Allemands par surprise. Après avoir largement détruit la plus grande partie des installations de l’ennemi, l’infanterie est envoyée, ainsi que les tanks. C’est une guerre très moderne. Tous les corps d’armée sont mobilisés. Il y a des Britanniques, des Français, des Américains, des Canadiens, des Australiens sous un même commandement. D’un point de vue logistique, cela demande une incroyable mobilisation et coordination. Pour la première fois, parce qu’il y a un pilote unique, cela fonctionne. Jusque-là toutes les offensives s’étaient cassé les dents. C’est clairement le début de la fin pour les Allemands. Ludendorff, le chef d’état-major adjoint allemand, l’écrit lui-même dans son journal. Il est obligé de reculer et comprend qu’il ne pourra pas gagner la guerre face à des Alliés qui sont plus forts, plus nombreux et qui ont enfin réussi à s’organiser. Ils sont matériellement supérieurs, Ils produisent plus, plus vite et de manière plus performante. Ils ont compris depuis 1916 que cette guerre était une guerre de matériel. Ils ont aussi des populations qui tiennent et des combattants qui sont vraiment aguerris.
Des mitrailleuses et fusils mitrailleurs allemands capturés par les Britanniques dans le secteur d'Amiens, en août 1918
Cette bataille d’Amiens marque un tournant dans l’année 1918. Pourquoi n’est-elle pas plus connue en France ?
Elle met en jeu essentiellement des forces anglo-saxonnes. La Somme est beaucoup plus importante dans la mémoire collective anglo-saxonne que dans la française. Nous nous sommes concentrés sur Verdun, alors que pour les Britanniques, au sens large, c’est un territoire qui a une vraie résonnance. La plupart de leurs morts n’ont pas été rapatriés. Ils sont enterrés sur ces terres, identifiés ou pas. Il y a des mémoriaux partout et des familles qui viennent très fréquemment pour se recueillir. Nous avons oublié ces soldats, mais pas le reste du monde.
Le 8 août, il y aura une belle cérémonie à la cathédrale d’Amiens avec beaucoup de lectures. À en juger par ce qui a été fait lors du centenaire de la bataille de la Somme en 2016, cela risque d’être très beau et très émouvant. Une délégation allemande sera aussi présente, ainsi que des Canadiens, des Australiens etc. Cela permet de prendre véritablement conscience de la dimension mondiale de cette guerre. Le monde entier était là en 1918.