Roselyne Febvre, chroniqueuse politique sur France 24, revient sur l'annonce surprise de la démission de Nicolas Hulot, ministre de l'Écologie. Une démission annoncée en direct sur France Inter, comme une prise de conscience de son impuissance.
Ce matin, sur France Inter, nous avons assisté à un glissement de terrain en direct. Le glissement d’un ministre dans le gouffre de ses contradictions. Nicolas Hulot était au bout de son paradoxe et l’on sentait monter en lui l’émoi. Première question de Nicolas Demorand : "Expliquez-moi pourquoi cet été on a eu chaud, on a eu des incendies, des ouragans, des inondations et des catastrophes ?" Il répond qu’il ne le peut et qu’il ne comprend pas que l’on en saisisse pas l’urgence. Au fil des questions, le ministre évoque ses impuissances. Elles montent crescendo. Sa bouche se tord, son visage est pris de tics, la bouche se fait amère… un peu plus et les larmes affluent au bord des yeux.
On écoute, on sent que quelque chose se passe dans la tête de Hulot. Et puis la liste continue : "La planète est une étuve, nos réserves naturelles s’épuisent, la biodiversité fond comme neige au soleil et ce n’est pas un enjeu prioritaire". La séance dure, les journalistes déguisés en psy – mais qui ne le savent pas – continuent leur questionnement lancinant et implacable. Au fur et à mesure, peut-être même sans s’en rendre compte, Nicolas Hulot verbalise en direct toutes ses impuissances, ses combats perdus, ses convictions bafouées, en clair, son inutilité. Sa déception de la gouvernance.
"Sur le bureau du president et du Premier ministre, dit-il, il y a de telles exigences quotidiennes, de telles souffrances palpables que le court terme préempte tout". Un court terme qui empêche "une vision". Il critique même "l’orthodoxie économique et financière de l’Europe" à laquelle la France se plie. Ce constat, il voulait l’éviter, mais comme un acharné, il revient à la charge à mesure qu’il s’exprime… C’est une évidence, il l’exprime tout haut, tout fort, tout cru, tout net : le 7/9 d’Inter est devenu un divan géant aux milliers d’oreilles. Léa Salamé s'en étrangle !
Combien de fois est-ce arrivé, chez le psy, de faire tout haut la liste de ce qui n’allait plus dans votre vie et de vous l’imposer comme une évidence car vous vous êtes entendu ? Nicolas Hulot, ce matin, faisait penser à cet homme où à cette femme qui égrène sur le divan ce qui l’entrave, rentre chez lui où chez elle, et dit à sa femme où son mari : "Chéri, je te quitte, je suis à bout". C’est ce qui est arrivé à Nicolas Hulot ce matin. Peu importe qui l’écoutait. Il s’écoutait lui et l’on connaît la suite.
Stupeur dans le studio, stupeur un peu partout. L’éditorialiste de France Inter Thomas Legrand confiera que le ministre n’avait rien dit à personne, ni à son épouse, ni à ses proches, et plus incroyable, rien au président ni au Premier ministre. Comment prendre une douche froide un matin sur France Inter ?
En écoutant Hulot. Pourtant, il nous avait habitué à ses états d’âmes, il était un ministre constamment au bord de la démission et l’on l’attendait sans l’attendre. Visiblement les chasseurs auront eu sa peau. La veille, la réunion avec les chasseurs à l’Élysée aura été révélatrice et fatale. Les chasseurs pourront accrocher la tête du cerf au-dessus de la cheminée.
Le ministre rejoindra la cohorte des ministres de l’environnement au panthéon de la déception. De Jean-Louis Borloo à Delphine Batho. L’écologie est une pieuse pensée, la transition énergétique se veut une volonté politique, mais elle se heurte au réel et aux puissants lobbys. Depuis longtemps, les intérêts économiques l’emportent sur les urgences écologiques. C’est une vieille ritournelle. Nicolas Hulot, après s’être enfin décidé à goûter au fruit defendu en devenant ministre, aura goûté au fruit amer.