Des étudiants d’origine asiatique attaquent l’université Harvard en justice pour discrimination raciale dans le recrutement. Une affaire qui questionne le principe de discrimination positive aux États-Unis. La Cour suprême pourrait s'en saisir.
Alors que les États-Unis sont de plus en plus divisés, tant au niveau politique que racial, un procès très sensible vient questionner le recours à la discrimination positive dans l’éducation. À quel point le recrutement universitaire peut-il prendre en considération l’origine raciale d’un candidat ? C’est la question au cœur du débat de cette affaire jugée dans une cour fédérale de Boston.
Vendredi 2 novembre, les deux parties devaient terminer leurs plaidoiries. D’un côté : Harvard. L’une des universités les plus prestigieuses des États-Unis se retrouve sur le banc des accusés. De l’autre : un groupe de plaignants américains d’origine asiatique, "Students for Fair Admissions", qui accuse l’institution de leur avoir barré l’entrée à cause de leur profil racial. Et ainsi de violer la loi sur les droits civiques de 1964 qui interdit les discriminations raciales.
Ce procès est suivi avec une grande attention outre-Atlantique car il pourrait se transformer en référendum sur la discrimination positive. Les deux parties comptent faire appel, quelle que soit la décision de la juge, qui pourrait être rendue début 2019. Dans ce cas, l’affaire pourrait remonter jusqu’à la Cour suprême, où le juge Brett Kavanaugh, qui vient d’être confirmé, fait dorénavant pencher la balance du côté conservateur. Ce débat s'inscrit dans un autre débat, plus large, sur les idées de mérite et d'égalité des chances, dans un pays à l'histoire chargée de racisme.
Moins bien notés sur le courage et la gentillesse
Les plaignants se basent notamment sur une analyse des dossiers de 160 000 candidats pour appuyer leur argumentaire. Selon eux, bien que les étudiants d’origine asiatique aient de meilleures notes académiques que les autres, ils seraient pénalisés par les recruteurs lorsqu’ils sont évalués sur leurs qualités personnelles. Ainsi, on leur attribue des notes inférieures à celles des autres groupes raciaux sur des critères comme le leadership, le courage, la gentillesse ou encore le fait d’être "largement respecté". Selon eux, ces notes seraient basées sur des stéréotypes raciaux, selon lesquels les étudiants d’origine asiatique seraient par exemple forts en mathématiques et en sciences mais dotés d’une personnalité introvertie.
Harvard nie toute intention de discriminer qui que ce soit. L’université affirme que si les notes sur les qualités personnelles sont inférieures pour les candidats d’origine asiatique, c’est qu’elles sont en partie basées sur les recommandations de leurs professeurs de lycée. Sans expliquer pourquoi celles-ci sont inférieures à celles des autres groupes. Durant le procès, la défense a toutefois présenté des arguments statistiques montrant que le fait d'être d’origine asiatique n’influençait pas de manière significative la probabilité d’être admis en première année. L’université affirme d’ailleurs que 23 % de ses nouvelles recrues cette année sont d’origine asiatique.
"Ne pas voir ma race, ce serait ne pas me voir moi"
Plus généralement, Harvard estime qu’il serait impossible de ne pas prendre du tout en compte l’origine raciale d’un étudiant lors du recrutement, puisqu’elle est un des éléments de son histoire. Huit étudiants et anciens élèves ont été appelés à la barre pour en témoigner. "Un recrutement aveugle en matière raciale serait un acte d’effacement, a ainsi plaidé une étudiante noire. Ne pas voir ma race, ce serait ne pas me voir moi." Si l’origine raciale n’était pas du tout prise en compte, alors le nombre d’étudiants noirs, hispaniques et d’autres minorités serait presque divisé par deux, selon Harvard. Tout en refusant l'idée de quotas, l’institution défend donc une approche "holistique" ou compréhensive du recrutement, selon laquelle l’origine raciale est un élément parmi d’autres à prendre en compte.
La Cour suprême a déjà soutenu par trois fois la discrimination positive en matière raciale : en 1978, en 2003 et en 2016, rappelle la professeure de droit à UCLA Rachel Moran, interrogée par France 24. Ces programmes, explique-t-elle, doivent servir à "obtenir de la diversité au sein d’un corps étudiant" afin "d’ouvrir une voie inclusive vers le leadership". Pour cela, "tous les candidats doivent faire partie du même échantillon, il ne peut pas y avoir de quota ni de considération mécanique de la race à travers un système de points".
Vague juridique
Mais selon William Baude, professeur de droit à l’Université de Chicago, le flou juridique continue de régner. "La Cour suprême est restée vague sur ce qui est acceptable", explique-t-il au New York Times. Il serait ainsi acceptable d’utiliser l’origine raciale comme critère de recrutement "tant que ça n’est pas trop flagrant", ajoute-t-il. L’autre problème, selon l’universitaire, est que "les écoles restent très secrètes sur ce qu’elles font vraiment. Ce qui signifie qu’on ne sait pas exactement quelle est la loi, ni si quiconque y obéit."
Si la Cour suprême, désormais à majorité conservatrice, se saisit aujourd'hui du dossier, les partisans de la discrimination positive craignent que ce principe censé permettre aux minorités d’obtenir un traitement plus équitable soit alors effacé du droit américain. Et donc que la diversité dans les campus – ou d’autres secteurs de la société – devienne moindre. Leur crainte est renforcée par l’attitude de l’administration Trump. Celle-ci a déjà donné quelques coups de boutoir au principe de discrimination positive. En juillet, les ministères de la Justice et de l’Éducation ont supprimé des consignes de l’administration Obama encourageant la considération de l’origine raciale dans les recrutements universitaires. Le ministère de la Justice s’est d’ailleurs clairement positionné du côté des plaignants contre Harvard.
Des intentions cachées ?
Les Américains d’origine asiatique sont eux-mêmes divisés sur ce procès. Certains estiment que le processus d’admission à Harvard – ou dans d’autres universités élitistes – est effectivement peu transparent et qu’un biais racial pénalisant les Asiatiques au profit des Blancs et d’autres minorités peut exister. Mais beaucoup restent attachés au principe de discrimination positive et ont l’impression de voir leur cas utilisé par les réfractaires à ce principe.
Le témoignage d'une étudiante d'origine asiatique soutenant le recrutement "holistique" d'Harvard
Or, pour leur défense, les plaignants sont accompagnés par le stratège conservateur Edward Blum, opposant farouche à tout type de discrimination positive dans la société. Il a notamment intenté une action en justice du même genre contre l’Université du Texas. La Cour suprême a rejeté ses arguments. Il a également contesté en justice des aspects-clés de la loi sur le droit de vote de 1965, décrochant cette fois-ci une victoire en 2013 auprès de la Cour suprême. Ses opposants dans le procès contre Harvard affirment donc qu’il agit moins par souci d’inclusion des Américains d’origine asiatique que par volonté d’abolir toute politique aidant les minorités. Un agenda qui viserait, in fine, à renforcer la domination des Blancs dans la société américaine.
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