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Le scientifique russe Igor Ashurbeyli est devenu, lundi, le premier dirigeant de la "nation spatiale" Asgardia. Un “pays” sans territoire, non reconnu, mais qui a sa propre constitution et compte déjà plus de 200 000 citoyens.

“Cette journée restera probablement comme un grand moment de l’histoire de l’Humanité”. Au centre du grand salon de l’ancien palais impérial de Vienne, l’homme d’affaires milliardaire et scientifique russe Igor Ashurbeyli jubile. Devant un parterre de diplomates d’une dizaine de pays, de scientifiques et de simples curieux, il vient, lundi 25 juin, d’être intronisé premier chef d’État de la “nation spatiale” Asgardia, un projet qu’il avait lancé en 2016.

Déjà doté d’un drapeau, d’un hymne et d’une constitution, Asgardia est dorénavant incarnée, non seulement par son dirigeant, mais aussi par un président du Parlement, l’ancien député gallois Lembit Öpik, et un président de la Cour suprême, le directeur de la faculté de droit de l’université de Hong Kong, Zhao Yun.

Satellite et bitcoin

Mais il manque encore à ce “pays” plusieurs éléments constitutifs essentiels avant que son créateur puisse espérer décrocher le Graal : être reconnu officiellement par l’ONU comme État souverain dans l’espace. Asgardia n’a pas de monnaie, pas de passeport, n’est reconnu par aucun autre pays et n’a pas non plus de territoire.

Igor Ashurbeyli assure cependant qu’il ne vend pas que du rêve. Après tout, il a déjà réussi à lancer un satellite en 2017 – Asgardia 1 –, lui garantissant un début de présence dans l’espace. Il a promis de mettre en place avant la fin de l’année une monnaie dématérialisée – une sorte de bitcoin asgardien –, d’établir une présence diplomatique sur tous les continents et de bâtir, d’ici 2025, des stations spatiales habitables sur la Lune.

Ce ne sont pour l’instant que des promesses. Ce qui est, en revanche, une réalité, c’est l’engouement que le projet a suscité. Asgardia revendique 203 967 citoyens. Il est certes impossible de connaître la proportion de cette population qui prend l’affaire au sérieux : il suffit, en effet, de remplir un simple formulaire pour devenir Asgardien.

Défi technologique et utopie

Certains sont, cependant, convaincus de participer à une aventure sans précédent et se sont même portés candidats aux récentes élections parlementaires. “C’est la première fois qu’une nation naît de rien, et c’est donc une occasion unique de réfléchir en commun à sa construction”, assure Brice Targat, un ingénieur de recherche en bio-informatique au Commissariat français à l’énergie atomique (CEA) de 33 ans et candidat malheureux aux élections, contacté par France 24. Il a découvert l’existence d’Asgardia sur Internet il y a environ un an, en a discuté avec des collègues, “et comme nous sommes tous scientifiques, ce qui touche à l’espace nous intéresse”, explique-t-il.

Ils sont nombreux à avoir, comme Brice Targat, un profil scientifique… sans pour autant être des “geeks” capables de tenir une discussion en klingon (langue fictive issue de la série "Star Trek"). “Lorsque je me suis rendu à Vienne pour l’entrée en fonction d’Igor Ashurbeyli, je me demandais si j’allais mettre les pieds dans un rassemblement de fans de 'Star Trek', mais en fait j’y ai croisé des scientifiques, des économistes et des personnes qui avaient, certes, toutes la tête dans les étoiles, mais aussi les pieds bien ancrés sur Terre”, raconte à France 24 Linda Jack, une britannique de 63 ans et citoyenne d’Asgardia.

Elle-même n’a pas été attirée par le défi technologique. Cette ancienne militante LibDem (Parti des Libéraux-démocrates), à la fibre sociale très développée, trouvait que le projet tombait à point nommé. “Entre Donald Trump et le Brexit, l’époque semble être au repli sur soi et Asgardia promeut une ouverture aux autres à travers une collaboration internationale pour développer un projet en commun”, souligne-t-elle. “Je suis citoyenne britannique, européenne, du monde et maintenant aussi de l’espace”, se réjouit-elle.

Un idéal d’une communauté débarrassée des contraintes des frontières qui a aussi séduit Roham Soleimani, un Iranien installé à Berlin. “Quand je suis arrivé en Allemagne il y a cinq ans, j’ai ressenti comme une perte d’identité. Je considère Asgardia comme une société multinationale à laquelle je pourrais m’identifier”, assure-t-il à France 24. Pour lui, l’ambition de cette première “nation spatiale” est de construire une société qui laisserait tous les problèmes terrestres… sur Terre. “Pas de racisme, pas de frontières, pas de populisme ou de guerre, voilà ce que j’espère pour Asgardia”, résume-t-il.

Impôt de 100 euros

Une vision utopique qui ne fait pas de Roham Soleimani un Asgardien béat pour autant. Comme bon nombre de ses compatriotes, il a mal digéré l’annonce par Igor Ashurbeyli de l’instauration prochaine d’une taxe annuelle de 100 euros. Officiellement, ces fonds doivent financer le projet scientifique de la “nation spatiale”. Mais il n’y a pour autant aucun engagement de transparence et Roham Soleimani ne “donnera pas d’argent tant qu’ [il] ne saura pas précisément où il va et à quoi il sert”. Il n’a pas non plus apprécié le grand écart entre la Constitution d’Asgardia, qui promeut l’égalité pour tous, et l’insistance d’Igor Ashurbeyli de qualifier son “pays” de “royaume”.

Même si l’actuel chef d’État a promis de ne rester que cinq ans au pouvoir, il s’est attribué de larges pouvoirs qui semblent incompatibles avec la conception de société idéale que de nombreux Asgardiens défendent. Mais les trois citoyens interrogés par France 24 partagent le sentiment de Brice Targat que “quoi que donnera ce projet, c’est la première fois qu’on va aussi loin pour créer quelque chose d’aussi ambitieux”. Ils attendent tous maintenant de savoir s’ils auront un jour leur passeport officiel d’Asgardia.


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