L’écrivain Aurélien Bellanger raconte sa passion pour le site 9gag, royaume des mèmes et fascinant café du commerce en ligne.
J’ai commencé par les sites d’information gratuits des quotidiens payants.
Avec mon arrivée sur les réseaux sociaux, et l’apprentissage d’une lecture plus rapide, quand la question du contenu est devenue un peu secondaire par rapport à celle du titre, condensé parfait d’information dont Le Gorafi, bientôt, viendra parachever le règne, j’ai basculé vers les pure players, d’abord le Huffington Post, pour les lettres géantes de sa page d’accueil et pour sa flatteuse coloration progressiste, puis Buzzfeed, pour ses listes obsessionnelles et ses titres qui dénotaient une connaissance parfaite des mécanismes du cerveau — savoir qu’on n’y trouverait rien mais ne pouvoir s’empêcher de cliquer malgré tout s’avérait étrangement respectable, comme jouir sans fin de son propre cerveau.
L’homme universel
Enfin, au début de l’année 2015, j’ai basculé vers 9gag qui représente encore le site sur lequel je passe chaque jour le plus de temps.
Sur mon iPhone, le 9 blanc anguleux sur fond noir de l’application a rejoint le M blanc et gothique, sur fond noir, de l’application du Monde.
Ce qui est plutôt problématique, au regard de la médiocre qualité du site, et de sa coloration idéologique cette fois plutôt douteuse : c’est ici l’homme universel qui s’exprime, la majorité qui parle, et les minorités, tolérées, ne sont plus trop chez elles — car 9gag est trop démocratique, trop égalitariste pour supporter l’existence de ce qui, dans son monde simple et unanime, contesterait la suprématie éclairée de la masse.
Dont ask, don’t tell ; la communauté des « 9gagers » oppose à la complexité du monde le bon sens de sa culture majoritaire et son hostilité subséquente, et métaphysique, aux principes de l’affirmative action, qui reviendrait pour elle, un peu paranoïaque, à la réinstauration d’un double standard qui la stigmatiserait de fait, comme blanche, mâle et majoritaire.
Le TF1 des sites communautaires
C’est en partie — en partie seulement — ce qui rend 9gag fascinant, comme avait pu l’être, jadis, au temps du papier et de la cigarette, les courtes descentes matinales qu’opéraient les classes intellectuelles dans les bars-tabac où elles venaient lire L’Equipe et Le Parisien au milieu du vrai peuple, au cœur de l’opinion publique.
9gag serait dans cette perspective la version mondialisée de l’opinion publique, l’hégémonie mondiale du sens commun majoritaire.
Qu’est-ce que 9gag ? Un fil infini, un long ruban d’images, plusieurs milliers de kilomètres d’images, la grande route d’Internet sur laquelle l’utilisateur est invité à scroller quelques mètres.
9gag est un image board, sur le modèle, très simplifié, de 4Chan, ainsi qu’un site communautaire, sur le modèle de Reddit, où ce sont les votes des membres de la communauté qui viennent remonter et rendre visible les publications. Mais là où Reddit, « la page d’accueil de l’Internet », avec ses fils variés et la dureté de son interface, demeure encore aristocratique, 9gag impressionne par la simplicité de son utilisation et la robustesse de ses règles. Il n’existe même qu’un seul fil de discussion, hégémonique. C’est le TF1 des sites communautaires : un contenu unique qui vise à l’audience la plus large...
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